Chroniques trantoriennes

02 février 2007

La Matrice désionisée – Puissance et limites du fan editing

Avez-vous jamais rêvé de redécouvrir certains films débarrassés des aberrations qui les empêchent d’être des œuvres majeures ? Je ne parle pas ici de raboter les longueurs. Nous avons tous secrètement imaginé l’ouverture de Mort à Venise affranchie de son interminable traversée de la lagune. Ou un 2001, l’odyssée de l’espace dans lequel on aurait coupé 90 % de l’arrivée psychédélique de l’astronaute sur la lune de Jupiter. Non, je parle ici de modifier profondément la structure du film pour en ôter des scènes voire des séquences entières, en raison des errances dans lesquelles elles conduisent le film.

C’est le but que se sont fixé plusieurs équipes de fan editing (remontage par des fans), amateurs de cinéma maitrisant les récents outils de montage et de mixage numérique. Ils entendent ainsi donner à certains films une nouvelle dimension et souvent un nouveau sens, voir un nouveau genre. Le défi mérite que l’on juge sur pièce…

J’ai ainsi fait récemment une expérience assez fascinante, en visionnant une version remaniée de Matrix Reloaded et Matrix Revolutions. Élagué par les soins de l’équipe CBB Productions, le néo-film (c’est le cas de le dire) a été fort à-propos rebaptisé The Matrix DeZIONized.

La matrice désionisée ? Ne lui aurait-on enlevé que quelques électrons superflus sur les couches supérieurs du nuage de Bohr ? Non, le changement est bien plus radical : d’une durée initiale de 4 h 25, les deux films se trouvent condensés en 2 h 40 ! La principale explication de cet impressionnant régime minceur : on a ôté du métrage toutes les séquences situées dans la cité intra-terrestre de Sion (en anglais : Zion).

L’idée n’est pas révolutionnaire. En effet, lequel d’entre nous, voyant les épisodes 2 et 3 de Matrix, n’a pas trépigné devant ces insipides et interminables scènes troglodytiques ? En plein visionnage de Matrix Revolutions, j’en étais même rendu à prier les dieux de l’écriture dramatique pour que Sion soit rayée de la carte par les Machines. Comment, en effet, se passionner pour ce pathétique sanctuaire de la race humaine dite libre, englué dans un régime politique oligarchique et faussement égalitaire ? Nombre de fans vous le confirmeront : nous n’aurions jamais dû voir Sion. La ville aurait dû rester mythique, méritant ainsi dans l’esprit du spectateur que les héros se battent pour sa survie. Au lieu de cela, les frères Wachowski avaient fait voler en éclats l’utopie érigée dans le premier volet de la saga.

Car si Matrix est un chef d’œuvre absolu du cinéma de SF (et même du cinéma tout court), ses deux suites sur grand écran ont de quoi décontenancer. Tout ça pour ça ? résume assez bien le désarroi qui gagne le spectateur suite au visionnage de Matrix Reloaded (sympathique mais sans plus) et surtout Matrix Revolutions (une grosse daube au budget de 150 M$ !).

Aussi, lorsque j’appris qu’une jacquerie de fans avait œuvré pour faire disparaître Sion des épisodes 2 et 3, mon intérêt fut immédiat.

En fait, j’étais également très curieux de voir si nos amateurs éclairés allaient par la même occasion éliminer d’autres sources de mes énervements matriciens. L’un des plus importants à mes yeux était le flash forward qui ouvre Matrix Reloaded (sur le flash forward, cf. sur ce blog mon billet consacré à 36, Quai des orfèvres). Il fallait selon moi impérativement que les ciseaux de l’équipe CBB Productions taillassent dans le vif et fissent tomber dans le chutier numérique cette séquence proprement inutile sur un plan dramatique et génératrice d’énervement dû à la redondance.

Et CBB l’a fait ! D’entrée, donc, il marque un point.

Alors évidemment, le film ne peut pas commencer par Néo qui s’éveille en sursaut. Il faut une accroche, une première scène qui frappe le spectateur. Et comme nous sommes au début du second volet d’une trilogie, si cette scène pouvait nous remettre dans le bain par la même occasion, ça ne serait pas pire.

Aussi CBB Productions a-t-il eu l’idée de commencer The Matrix DeZIONized par l’ultime scène de Matrix (le premier volet). Bon sang mais c’est bien sûr… Encore fallait-il y penser. Du coup, le spectateur se retrouve en pays de connaissance, il s’en reprend plein les mirettes durant une minute. Et surtout, le cut sur lequel surgit le générique de fin est réutilisé ici comme transition sur Néo s’éveillant en sursaut à bord du Nebuchadenezzar. Simple, mais terriblement efficace. D’autres coupures tout aussi subtiles parsèment le film, mais on aura compris qu’elles savent vite se rendre indispensables.

Quant à la disparition totale des séquences sionesques, elle se révèle prodigieusement adéquate. Il est même surprenant de constater avec quelle facilité les deux autres lieux d’action (les galeries souterraines et les univers virtuels) peuvent coexister, sans être perturbés par cette complète éradication. L’absence de liens croisés entre les trois mondes constituait un signe patent de la problématique construction du scénario. Dans Matrix 2 et 3 (versions d’origine), on était loin, très loin de la fabuleuse interdépendance des trois théâtres d’opérations dans le dernier acte du Retour du Jedi.

La métamorphose via Matrix DeZIONized est criante en ce qui concerne le lifting de Matrix Reloaded : non seulement le film gagne un nouveau souffle, mais surtout il devient un film d’action quasi-non-stop dans l’univers de la Matrice, entrecoupé de quelques rares mais bienvenues plages de réflexion. Son rythme impressionnant fait de Reloaded une vraie réussite. D’une durée d’une heure vingt, il s’insère parfaitement dans l’entreprise d’élargissement de l’univers matricien lancé par les frères Wachowski à travers les excellents courts-métrages Animatrix puis les jeux vidéos de la franchise.

Le rabotage de Revolutions laisse toutefois un goût un peu amer : certes, nous voilà débarrassés des scènes sionesques ô combien agaçantes, mais ici, il faut bien le reconnaître, le remontage du film ne fait pas de miracle : le scénario de Revolutions est gravement déficient. Et on sent nettement que les frères W ne savaient pas comment boucler la boucle. Le duel final entre Neo et Smith est toujours aussi pathétique. Ah, on a bien saisi que Smith est une alternative radicale à la Matrice. Et certes, l'ironie de la situation est savoureuse : un terroriste anarchiste (Neo) contraint de s'allier aux capitalistes (les Machines) pour éradiquer la menace communiste (Smith). Mais ça, on le comprend dès les images qui précèdent le combat. Ce qui fait que la longue baston qui suit n’a plus aucune raison d’être ; et sa débauche d’effets spéciaux n’y change rien.

Quant au pacte passé entre Neo et les Machines, il demeure pour moi totalement incohérent. Certes, les Machines se servent de Neo pour lire le code de Smith et lui injecter l’antivirus, mais après ça, pourquoi épargnent-elles Sion ? Pourquoi respectent-elles leur parole, alors que depuis des décennies, elles exploitent sans vergogne l’humanité et tente d’éradiquer les résistants ? Auraient-elles été touchées (?) par le sacrifice de Neo ? Les ciseaux magiques ont leurs limites. Mais Matrix Dezionized parvient tout de même à rendre Revolutions regardable, ce qui constitue déjà en soi un exploit.

L’expérience d’un bon fan editing présente ici de nombreux avantages. Mais ce qui est vrai pour Matrix 2 et 3 peut ne pas l’être pour d’autres films. CBB Productions compte ainsi à son actif une quinzaine de films remaniés. Et l’un d’eux est La Guerre des Mondes de Steven Spielberg. On touche ici à une autre limite du concept. L’idée de l’équipe est de débarrasser le chef d’œuvre de Spielberg de nombre de scènes et de détails qui empêche le film d’être un film de SF pur et dur. Le problème, c’est précisément que ces scènes élèvent le film au-dessus du tout-venant science-fictionnesque, lui conférant la puissance d’un formidable drame humain. On le voit, l’extrême subjectivité du fan editing place ipso facto le procédé en équilibre instable. L’exercice exige une profonde compréhension du film et une étude minutieuse de la construction de son scénario. La devise de CBB Productions, Sometimes less is more, se révèle à double tranchant. Ainsi, le remontage de La Guerre des Mondes relève de l’aberration. Mais le fan editing de Matrix 2 et 3 constitue une révélation.

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9 Comments:

  • Je pense que c'est simplement que tu as peu de sensibilité cinématographique. La guerre des mondes de spielberg! Drame Humain?!!
    Grosse machine à frique, tout comme matrix, je te l'accorde, mais essaie de décoder le film et quand comme tu dis, tu auras une très bonne compréhension du film il ne te paraitra plus irregardable.
    Il y a d'autres film à suprimer, laisser matrix tranquile.

    By Anonymous Anonyme, at 3:53 PM  

  • Tout d'abord, il conviendrait de s'entendre. Mon propos critique ne visait pas Matrix Episode 1 que je qualifie de « chef d'oeuvre absolu du cinéma de SF (et même du cinéma tout court)». Parle-t-on bien du même article ?!

    Si, par le vocable Matrix, tu parles du monde de Matrix, je te rappelle quand même que je cite les excellents Animatrix et les jeux vidéos fort sympathiques de la franchise.

    Pour ce qui est de décoder le film, merci, j'ai deux yeux et un cerveau. Et en plus je sais lire. Si si... Et je suis très surpris que dans ton omniscience matricienne, tu n'aies pas remarqué l'un de mes liens favoris sur le blog (c'est la colonne de droite, sous l'intitulé Liens...), à savoir Philosophy and the Matrix qui renvoie aux essais philosophiques de haute volée publiés sur le site officiel du film.

    Soyons clair : mon article ne s'en prenait qu'à Matrix Reloaded, et surtout à Matrix Revolutions. Si c'est bien ainsi que tu as compris mon article (ce dont je ne peux douter une seconde...), je dois en déduire que tu ne trouves à Matrix Episodes 2 et 3 que des qualités supérieures. Ce n'est clairement pas mon cas, en tant que témoin de leurs grosses faiblesses scénaristiques - que j'ai l'outrecuidance d'expliquer !

    Maintenant, si tu veux parler de la signification profonde de tics genre versets de la bible codés sur les plaques d'immatriculation des voitures, on tombe là dans la sodomisation des coléoptères, discipline dont je te laisse bien volontiers toute l'expertise. Ce type de clins d'oeil n'est là que pour amuser le chaland et lui faire croire qu'il est devant un monument philosophico-ésotérico-gnostico-psychanalytico-intellectuel. Or, on fait dire ce qu'on veut aux versets de la Bible (surtout hors contexte !). Mais la diversion semble avoir bien fonctionné...

    Par ailleurs, en quoi le fait de supprimer des deux films les séquences de Sion porte-t-il atteinte à l'intégrité (l'intelligibilité ?) de ces indices cryptiques qui n'apparaissent que dans la Matrice ? J'aurais aimé que tu m'expliquasses cela en détail...

    Enfin, puisque tu sembles avoir tout compris à tout, je suis fort étonné que tu ne m'illumines pas de ton illustre savoir pour répondre aux questions que je pose dans mon article. Je mets ça sur le compte du mépris du sage envers le vermisseau.

    J'apprécie particulièrement cette fascinante et cinglante remarque « C'est simplement que tu as peu de sensibilité cinématographique ». Houla ! Ca me fait beacoup de mal ce que tu me dis là. J'écrase une larme. Il est vrai que, quand tu écris ne voir dans La Guerre des Mondes qu'une simple « grosse machine à frique (sic)», ta sensibilité cinématographique saute au visage.

    Quand on se souvient que Télérama (LE magazine anti-Spielberg par excellence) a convenu que La Guerre des Mondes était LE chef d'oeuvre de Spielberg... Ca doit être encore un de ces effets pervers du réchauffement climatique.

    Ah oui, juste comme ça, en passant : ta Seigneurie n'a pas daigné signer son commentaire, ne serait-ce que d'un pseudo. Je comprends : quelle perte de temps cela aurait été. À moins que Anonyme soit ta façon à toi de dire les choses et de les assumer...

    By Blogger daneel, at 10:21 AM  

  • "Quant au pacte passé entre Neo et les Machines, il demeure pour moi totalement incohérent. Certes, les Machines se servent de Neo pour lire le code de Smith et lui injecter l’antivirus, mais après ça, pourquoi épargnent-elles Sion ?"
    les Animatrix expliquent en fait que les machines au début n'étaient pas mauvaises, mais c'est l'homme qui ne les tolérait pas.
    Elles sont devenue "mauvaise" par nécessité (plus de soleil).
    Mais maintenant que Néo à compris (Néo= le nouvelle humain, plus tolérant que l'ancien), il s'en va donc faire la paix avec les machines en tant que représentant de l'espèce humaine.

    non?

    By Anonymous Anonyme, at 3:22 PM  

  • Personnellement, je ne considère pas la guerre des mondes comme un chef d'oeuvre.
    J'ai trouvé la première scène vraiment énorme mais ensuite le film perd tous son charme à mon goût. Pour moi c'est la trilogie Retour vers le futur que je considère comme un chef d'oeuvre ,même si c'est pas le seul qu'il a fait c'est mon préféré. Mais ça reste mon avis :)

    Pour parler de Matrix je suis d'accord avec toi sur certain point, comme la découverte de Sion m'a aussi pas mal déçu. Par contre j'ai trouvé la cité vraiment magnifique une fois transformé en champ de bataille, ainsi que l'affrontement.

    Pour ce qui est du duel de fin neo vs smith je suis aussi d'accord pour dire qu'il est décevant.

    Le pacte entre Neo et les machines en revanche ne m'a pas autant déçu que ça, vu la tournure que prend le scénario de Matrix Reload quand l Architecte fait ses révélations sur la destruction de Sion, et qu'ensuite il se retrouve confontrer à un choix entre la menace de Smith grandissante et la destruction imminente de Sion, les options deviennent très limité.

    Pour ce qui de pourquoi les machines ont épargnées Sion et Neo je n'ai pas la réponse à cette question. Peut être que les machines étant plus intelligentes que les humains, et ayant déja écrasé plusieurs fois ont voulu laissé une seconde chance aux humains leur créateur tout de même.
    C'est une question qu il faudrait poser aux 2 frangins :)

    Le scénario de Matrix Reload reste quand même vraiment travaillé moins que le 1er certe, (faut dire aussi le scénario du 1er Matrix pèse un poids tellement énorme qu'il est vraiment difficile de le surpasser ensuite) mais ont y retrouve quand même des personnages travaillés dans les personnalité, le charisme, et les dialogues.

    Enfin pour moi la trilogie Matrix restera dans les films culte même si je trouve Matrix Revolution nettement en dessous des deux premier.
    En tout cas merci pour le boulot que tu as fait sur cette nouvelle version de Matrix qui m'a vraiment mis l'eau à la bouche. J'ai hâte de voir ça

    By Anonymous Kyoshiro, at 1:31 PM  

  • Un excellent papier. Subjectif (évidemment !) mais ô combien argumenté. Félicitations. D'autant que ça me donne réellement envie de découvrir le travail réalisé sur Matrix.

    By Anonymous Anonyme, at 5:40 AM  

  • Bonjour à tous.
    je risque de vous offenser, mais je pense que comme beaucoup de gens, vous n'avez pas compris le sens et l'unité des 3 films.
    Si vous préférez chercher le sens plutôt que blamer les réalisateurs, consultez le site suivant:

    http://thematrix101.com/revolutions/meaning.php

    beaucoup de points sont complétés par ces échanges:
    http://www.reddit.com/r/explainlikeimfive/comments/1hxdkd/eli5_wtf_was_the_architect_was_trying_to_tell_neo/

    ...on y apprend tout ce qui est habilement caché en étant juste affiché sous notre nez, tout ce qui est trop évident pour être admis; comment en fait Zion se trouve en fait toujours dans la matrice, en quoi l'Oracle intrigue pour une paix entre les hommes et les machines, pourquoi ce Néo précis ne se comporte pas comme les 6 précédents, comment Smith devient l'égal de Néo, comment Néo devient le sauveur des hommes et des machines...

    Michel

    By Blogger Unknown, at 10:54 AM  

  • L

    By Blogger Unknown, at 7:30 PM  

  • L

    By Blogger Unknown, at 7:30 PM  

  • Pourrais tu développer ce que tu trouves d'irregardable dans la guerre des mondes ?

    By Blogger benes, at 9:03 AM  

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